Le calme avant la tempête

Le calme avant la tempête

L’attaque de l’Ukraine contre la flotte de bombardiers russe a eu lieu il y a seulement quelques jours. L’Ukraine et ses alliés se sont eux-mêmes placés dans une situation qui les expose politiquement.
René Zittlau
dim. 08 juin 2025 10662 26

La diplomatie russe face aux drones ukrainiens

Par ses attaques terroristes et ses frappes de drones contre les forces nucléaires russes, pourtant protégées par des traités internationaux, le régime de Kiev a tenté de faire échouer les pourparlers d’Istanbul. En vain.

La Russie a été durement touchée, bien que ce ne soit pas tant le nombre d’appareils détruits qui fasse mal. En revanche, son comportement mesuré montre ce qu’une diplomatie de haut niveau peut accomplir en temps de crise. Elle ne s’est pas laissée provoquer, a respecté la rencontre convenue avec l’Ukraine à Istanbul et a présenté le mémorandum préparé de manière professionnelle, pendant les négociations, et non — comme l’Ukraine — plusieurs jours à l’avance par le biais des médias.

Le contenu de ce mémorandum, désormais connu du public, témoigne du sérieux de l’engagement russe. En plus de revendications fermes bien connues, dont personne ne s’attendait à ce qu’elles soient réglées dès le 2 juin, le texte met l’accent sur des aspects humanitaires, donc potentiellement solvables. Des aspects que l’Ukraine ne peut ignorer, mais qui, en même temps, posent des problèmes internes pratiquement insolubles.

C’est surtout sur ce dernier point que l’Ukraine a été prise de court. Le retour des dépouilles de six mille soldats ukrainiens tombés au combat, pour la plupart identifiés, apporte des réponses aux familles. Mais ce constat permet également aux proches de réclamer l’indemnisation légale prévue : 365 000 euros par soldat tombé au front. Cela représente un total d’environ 2,2 milliards d’euros, soit plus de cinq pour cent des dépenses annuelles du ministère ukrainien de la Défense. Une somme que l’Ukraine n’a pas.

Ce contexte explique les cris poussés par Volodymyr Zelensky à la suite de la proposition russe. Pour les familles, il est crucial d’obtenir enfin des réponses sur les "portés disparus". Mais leur président a déclaré :

"À ma connaissance, 15 % de ces 6 000 personnes ont été identifiées. Il est très important de tout vérifier, tous nos compatriotes doivent être récupérés."
(President) Zelensky

Mais Zelensky ne s’est pas arrêté là. Il a ajouté :

"Nous avons déjà eu une situation où, lors d’un échange de ce type, les Russes nous ont remis les corps de leurs propres soldats tués."
(President) Zelensky

Comme à son habitude, il n’a avancé aucune preuve pour étayer cette affirmation grossière. Il a également rejeté la proposition d’un cessez-le-feu de deux à trois jours sur certaines sections du front pour permettre la récupération des morts et des blessés, qualifiant d’« idiots » ceux qui l’avaient suggérée.

L’ancien député de la Rada, Vladimir Oleïnik, explique ce que Zelensky évoque en réalité :

"Comme le montre la pratique, presque tous les proches des soldats tués en Ukraine se voient refuser une indemnisation et doivent passer par une procédure judiciaire."
Vladimir Olejnik

Les familles doivent prouver que le défunt n’était ni sous l’emprise de l’alcool ou de drogues, n’avait pas déserté, et n’avait pas refusé d’exécuter un ordre.

" Les procédures de versement prennent beaucoup de temps. Étant donné que l’Ukraine n’est même pas en mesure de rembourser 600 millions de dollars à ses créanciers étrangers, elle ne prévoit pas de verser la totalité des compensations à ses propres citoyens."
Vladimir Olejnik

L’annonce du chef de la délégation russe à Istanbul de publier la liste des noms des soldats morts remis à l’Ukraine ne risque pas non plus d’améliorer l’ambiance au sein de la direction ukrainienne.

La dernière contribution du Parlement ukrainien à ce dossier est l’introduction d’un projet de loi selon lequel un soldat ne pourra être officiellement reconnu comme porté disparu que deux ans après la fin de la guerre. Il est révélateur du caractère de cette assemblée que ce projet ait été rédigé immédiatement après les pourparlers d’Istanbul du 2 juin.

Mais ce n’est pas là le comble du cynisme. À Istanbul, il avait été convenu d’échanger dans un premier temps les dépouilles de 1 200 soldats — sur les 6 000 recensés — à la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine, le 6 juin, avant de procéder à l’échange de prisonniers les 7 et 8 juin. Cette séquence avait été imposée en raison du comportement de la partie ukrainienne lors des précédents échanges, où elle avait fait tout son possible pour éviter de reprendre les corps de ses soldats tombés au combat.

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que, le 6 juin — jour prévu pour la remise des dépouilles —, l’Ukraine ait refusé, sans fournir d’explication, d’accepter les corps. Et ce, après que les 1 200 dépouilles avaient été transportées depuis Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie, jusqu’au lieu convenu en Biélorussie. Ce refus a également rendu impossible l’échange de prisonniers qui devait avoir lieu dans la foulée.

Le silence de Donald Trump

Le président américain n’est pas réputé pour sa retenue médiatique. Son silence assourdissant sur les attaques ukrainiennes par drones et les attentats contre les ponts ferroviaires russes en a été d’autant plus remarquable. Jusqu’au 4 juin, le président des États-Unis n’avait pratiquement rien dit sur une attaque que la Fédération de Russie, frappée en plein cœur, aurait pu interpréter comme une atteinte à son existence même — ce qui, selon sa doctrine officielle, ne lui donne pas seulement le droit, mais l’obligation de riposter par une frappe nucléaire contre l’agresseur.

Trump n’a pas réagi aux articles de presse selon lesquels son ministre de la Défense, Pete Hegseth, aurait suivi les attaques par drones en direct sur internet. Il n’y a même pas eu de tentative médiatique crédible pour réfuter le soupçon croissant d’une implication des services américains — ou de ceux d’autres pays de l’OTAN.

Le fait que la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, ait déclaré le 3 juin que Trump n’avait pas été informé à l’avance des attaques contre les bombardiers russes ne change rien à cette impression.

Même le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, s’il a présenté ses condoléances à son homologue Sergueï Lavrov au sujet des attaques contre les infrastructures ferroviaires, n’a pas prononcé un mot sur les frappes de drones.

Un tel silence, associé à ce type de communication, est généralement observé de très près par les responsables russes — et il est fort probable qu’il ait contribué à nourrir leur méfiance.

Dans la soirée du 4 juin, on a appris que Donald Trump s’était entretenu au téléphone avec le président russe. L’annonce qu’il a ensuite publiée sur Truth Social était, pour les standards de Donald Trump, d’une retenue inhabituelle — presque défensive.

Une fois de plus, aucune clarification personnelle de sa part quant à savoir s’il avait été ou non informé, en tant que président des États-Unis. Cela donne à la version rapportée par l’assistant du président russe, Iouri Ouchakov — selon laquelle Trump aurait affirmé au président russe que les États-Unis n’avaient pas été informés des intentions ukrainiennes — des allures de tentative diplomatique pour sauver les apparences. Une manière de couvrir un président américain qui, manifestement, n’a aucun contrôle sur ses services de renseignement ni sur son armée.

Au vu de l’ensemble du contexte entourant cet appel téléphonique, les affirmations selon lesquelles Trump aurait donné son feu vert à la Russie pour une frappe de représailles paraissent pour le moins étranges.

Comme on le sait, le président russe lui a clairement indiqué que la Russie se devait de répondre. Compte tenu de la situation, Trump n’avait probablement pas d’autre choix que de donner son accord à une action que la direction russe mènerait de toute façon, avec ou sans lui.

Il est tout simplement inconcevable que la CIA, la DIA ou le MI6 n’aient pas été impliqués dans la planification des attaques par drones. La logistique du renseignement, ainsi que la sécurisation des communications à travers une vaste zone eurasiatique en temps réel, dépassent très probablement les capacités de l’Ukraine. Selon le communiqué officiel de la commission d’enquête russe, des résidus « d’explosifs occidentaux » ont été retrouvés sur tous les sites d’attentats contre les infrastructures ferroviaires russes, perpétrés le même jour. Selon des sources officieuses, il s’agirait d’explosifs américains de type C4.

Il semblerait que Tulsi Gabbard, en tant que directrice de l’ensemble des services de renseignement américains, ait été « court-circuitée » — tout comme son propre employeur.

L’heure du choix

En une heure et quinze minutes – la durée de l’échange téléphonique – on ne peut pas aborder grand-chose. Avec la traduction, le temps effectif de parole est réduit de moitié au mieux. Les deux parties se seront donc concentrées sur les points les plus urgents. Reste à chacun de juger si l’Iran a réellement eu l’importance que Trump lui a donnée dans sa communication après l’appel.

Lors de sa prise de fonction, Trump promettait monts et merveilles. Les diplomates russes ont su prendre le nouveau locataire de la Maison-Blanche au sérieux et l’ont traité avec respect et considération. Des bases en apparence banales dans les relations humaines — et donc diplomatiques — mais qui, en politique occidentale, sont devenues si rares que des individus peuvent aujourd’hui devenir chefs d’État, ministres des Affaires étrangères, voire présidents de l’Assemblée générale de l’ONU, sans jamais en avoir saisi le principe.

Depuis lors, et surtout ces derniers jours, Trump semble avoir enterré définitivemen toute illusion sur la possibilité pour un président américain de réformer le système de haut en bas. Ce n’est certes pas impossible, mais… Cette tâche herculéenne ne peut pas être menée avec une politique dictée par les donateurs, comme le système présidentiel américain l’incarne depuis longtemps.

Trump ne fait pas face à une simple opposition : environ 50 % de la classe politique américaine est contre lui, tout comme l’écrasante majorité des responsables politiques de l’Union européenne. Cette configuration conduit à une situation pour le moins absurde : Trump pourrait trouver plus de compréhension lors de ses échanges avec le président russe que dans le « cercle de confiance » du pouvoir politico-médiatique occidental — y compris au sein de ses propres services de renseignement.

La réponse militaire russe aux attaques ukrainiennes par drones viendra — comme viendront celles qui répondront aux futures attaques. La Russie s’en servira pour adresser un message clair à l’Occident, bien au-delà de l’Ukraine : elle ne tolérera pas que les provocations politiques émanant de Kiev, de l’OTAN ou de l’UE soient traduites en actes militaires. Ni aujourd’hui, ni demain.

La Russie aura également à l’esprit le sommet de l’OTAN prévu en juin 2025. Trump devra alors faire un choix : s’aligner sur l’OTAN et l’UE pour affronter la Russie, avec toutes les conséquences que cela implique — ou bien refuser de pousser l’alliance vers la guerre, et ainsi tenter de préserver, dans des configurations peut-être inédites, une chance de paix pour l’humanité.

Un temps de décisions commence. Pour les dirigeants. Mais aussi pour les citoyens.

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