
Les signes du temps – L’histoire comme guide
Cet article a été initialement publié sur « www.globalbridge.ch ». Nous les remercions chaleureusement de nous avoir autorisés à le republier sur notre blog.
Introduction
Soyons honnêtes : les signes du temps annoncent la tempête. Peu importe la perspective politique depuis laquelle on observe les événements : ils empêchent le monde de retrouver le calme.
Le conflit en Ukraine. Le suicide politique – et à terme étatique – d’Israël, qui s’enfonce dans toujours plus de guerres contre ses voisins. Cela n’est rendu possible que grâce au soutien de l’AIPAC aux États-Unis, du gouvernement américain, et non moins du gouvernement allemand. Le virage militaire solitaire des États-Unis au Moyen-Orient, aux côtés du Royaume-Uni, contre le Yémen, et leurs velléités de l’étendre à l’Iran. L’alimentation constante du risque d’un conflit autour de Taïwan et de la Chine – là encore par les États-Unis –, avec l’« aide amicale » d’un pays convaincu depuis des siècles qu’il peut imposer ses intérêts par la ruse et la guerre, mais qui a dépassé son zénith il y a plus d’un siècle : le Royaume-Uni, désormais incapable de reconnaître, encore moins de soutenir, son propre orgueil – ni sur le plan économique, ni sur le plan militaire.
La France, elle non plus, ne veut pas être en reste dans ce trio infernal de la politique mondiale, même si la perte de puissance économique, commerciale et politique – notamment en Afrique – est difficile à concilier avec l’image qu’elle se fait d’elle-même, la « Grande Nation », et plus encore avec l’ego de son président.
Et enfin, sous la chancellerie de Merz, l’Allemagne célèbre des triomphes injustifiables, fruits d’une mégalomanie retrouvée, combinée à une résurgence d’idées militaristes agressives dans ses parlements et gouvernements, ainsi qu’à une orgie de réarmement sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Retour en arrière
Une nouvelle grande guerre semble à l’horizon. Et les parallèles avec les conflits du passé – dont l’Occident prétend avoir tiré toutes les leçons – sont bien réels, et profondément inquiétants.
Il y a un peu plus de 100 ans, les grandes puissances européennes croyaient pouvoir résoudre les tensions accumulées par un conflit militaire rapide, et rentrer chez elles pour Noël, fêtant leurs « hauts faits » autour d’un repas de fête – oie aux boulettes et au chou rouge d’un côté, dinde farcie aux marrons ou aux fruits secs de l’autre.
Cette folie habitait autant la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie que la Russie. Et chacune contribua, à sa manière, au déclenchement de la guerre.
Tentons donc de nous rappeler les réalités de cette ancienne catastrophe du XXe siècle. L’écrivain Henri Barbusse, confronté à ses propres traumatismes de soldat dans ce premier affrontement mondial, publia en décembre 1915 son roman « Le Feu ». Engagé volontaire en août 1914, à 40 ans, il y décrit la guerre du point de vue du soldat ordinaire. Ce livre, le premier véritable roman pacifiste sur la Première Guerre mondiale, devrait être lu par tous les parlementaires, en particulier ceux qui appellent aujourd’hui à un réarmement sans limite – y compris les objecteurs de conscience ministériels – et par les lobbyistes de la guerre tels que Mme Strack-Zimmermann, pour élargir un peu leurs horizons.
Les trois guerres mondiales
La situation géopolitique actuelle évoque Bertolt Brecht :
"La grande Carthage mena trois guerres : elle était encore puissante après la première, encore habitable après la seconde. Après la troisième, on ne la retrouva plus."
Bertolt Brecht
En avant, au cri de "Hourra !" vers la Première Guerre mondiale
Les années précédant la Première Guerre mondiale furent marquées par une montée constante de l’hystérie guerrière. La glorification de l’armée et des armes atteignit des sommets inédits.

Toutes les puissances se sentaient fortes et légitimes, attendant seulement le bon moment pour frapper. On oublia bien vite les Conférences de la paix de La Haye de 1899 et 1907, convoquées à l’initiative du tsar Nicolas II, qui avaient abordé pour la première fois les questions de désarmement et de règlement pacifique des conflits. Sept ans plus tard, la guerre avait supplanté la diplomatie. Le seul objectif : la victoire. Il n’y avait ni plan B, ni véritable volonté diplomatique.
L’équilibre des forces à l’issue de la guerre fut scellé par les principaux traités d’après-guerre : Trianon et Versailles, pour ne citer que les plus connus. Ces textes témoignent de l’état d’esprit et de la conception de l’histoire de l’époque. Les États-Unis, la France et surtout le Royaume-Uni n’en profitèrent pas pour rechercher les causes profondes du conflit : ils voulurent consolider leur position, et éliminer leurs rivaux. L’Allemagne fut désignée seule responsable, ce qui justifia les réparations. La monarchie des Habsbourg et l’Empire ottoman furent démantelés.
Jusqu’à ce jour, aucun consensus scientifique ne s’est formé sur la question des responsabilités dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Le chemin vers la Seconde Guerre mondiale
Les humiliations politiques et économiques infligées à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie furent si brutales qu’elles empêchèrent toute stabilisation. L’accession au pouvoir des nazis au début des années 1930 fut en grande partie une conséquence du traité de Versailles.
La Société des Nations, créée après la guerre pour prévenir tout nouveau conflit, ne parvint que partiellement à remplir sa mission. En cause : sa dépendance aux traités de l’après-guerre. À l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, elle perdit toute légitimité.
Si la Première Guerre mondiale fut la plus terrible jusque-là, la seconde ne connut plus de limite dans les moyens de destruction. Les technologies de guerre connurent une accélération fulgurante : armes biologiques, bombe atomique, extermination systématique de populations civiles – tout cela à une échelle inédite.
Comme vingt-cinq ans plus tôt, l’échec de la diplomatie fut au cœur du déclenchement. Mais si en 1914 la mégalomanie domina, en 1939, ce fut l’instrumentalisation volontaire de la diplomatie. La France et la Grande-Bretagne, par exemple, refusèrent d’honorer leurs traités avec la Tchécoslovaquie, la Pologne ou la Finlande. Et elles rejetèrent tout accord de défense mutuelle avec l’Union soviétique. Un signal implicite à Hitler, l’invitant à attaquer l’Est.
L’ordre d’après-guerre – base d’une Troisième Guerre mondiale ?
Les accords de Téhéran, Yalta et Potsdam, entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS, posèrent les fondations de la réorganisation politique du monde après 1945.
La création de l’ONU et de ses multiples agences découle de cet effort conjoint des Alliés pour construire un ordre international stable et pacifique.
Mais rétrospectivement, les décisions de Potsdam n’eurent pas l’impact espéré. Les puissances occidentales – surtout les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi la France – utilisèrent leur mise en œuvre pour servir leurs intérêts. L’introduction du Deutsche Mark dans les zones d’occupation occidentales, en violation des accords de Potsdam sur l’unité économique allemande, prépara la création d’un État ouest-allemand en 1949.
L’adhésion de la RFA à l’OTAN, le 9 mai 1955, s’inscrit dans cette logique.
Depuis, presque toutes les institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale ont été peu à peu détournées par les États occidentaux. Aujourd’hui, elles servent la politique américaine, européenne ou atlantiste. OSCE, institutions sportives, FMI, Banque mondiale, Conseil de l’Europe, UNESCO, OMS : toutes ont perdu leur indépendance. Elles sont devenues des instruments – voire des armes – au service de l’Occident, et plus particulièrement des États-Unis.
La coopération internationale égale et multilatérale semble désormais appartenir à un passé révolu. Le monde semble reculer.
Allemagne, 2025
Il y a 80 ans prenait fin la Seconde Guerre mondiale. Que reste-t-il du « Plus jamais ça », des serments d’alors ? Plus grand-chose. Les générations de combattants et de victimes ont presque disparu, et leur voix ne subsiste qu’à travers quelques témoignages. L’expérience directe n’éclaire plus les décisions des dirigeants. Et quand on les écoute, on reste frappé par leur ignorance, voire leur médiocrité intellectuelle.
Que reste-t-il alors ? Le savoir historique, la compréhension des complexités, de notre passé et de celui des autres. Wilhelm von Humboldt disait : « Ceux qui ne connaissent pas leur propre histoire n’ont pas d’avenir. »
Au vu de l’amnésie historique de la politique allemande – mais aussi européenne – actuelle, il semble presque ironique que le chancelier Helmut Kohl ait repris ces mots de Humboldt dans un discours prononcé au Bundestag, le 1er juin 1995 :
« Celui qui ne connaît pas le passé ne peut comprendre le présent, ni façonner l’avenir. »
Helmut Kohl , le 1er juin 1995
En 2025, le Parlement, le gouvernement et le président de la République fédérale d’Allemagne sont à des années-lumière de telles réflexions. Les discours de deux présidents allemands, prononcés à la même occasion, illustrent à quel point l’écart s’est creusé.
Dix ans avant le discours d’Helmut Kohl mentionné plus haut, le président fédéral de l’époque, Richard von Weizsäcker, avait prononcé un discours devant le Bundestag à l’occasion du 40e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Ce discours de Richard von Weizsäcker est considéré comme l’un des plus marquants, équilibrés et politiquement significatifs de sa carrière.
«Les signes du temps – L’histoire comme guide»