Tout est en jeu - pas seulement pour l'Iran.

Tout est en jeu - pas seulement pour l'Iran.

Le monde fonce droit vers l’abîme. Trump a clairement montré que les États-Unis sont encore moins capables de gérer leurs propres problèmes qu’ils ne l’étaient sous Biden. La coexistence pacifique avec les autres n’est plus qu’un lointain souvenir d’un monde révolu.
René Zittlau
mer. 18 juin 2025 11669 53

Introduction

Si l’humanité survit à la crise déclenchée par l’invasion de l’Iran par Israël et les États-Unis — une crise dont l’impact pourrait dépasser largement le cadre du Proche-Orient — les historiens et enseignants expliqueront peut-être un jour à leurs élèves qu’en ce vendredi 13 juin 2025, l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale, ce qu’on appelait communément le droit international, a cessé d’exister.

Cet ordre, fondé sur la Charte des Nations Unies et renforcé au fil du temps par une multitude de traités internationaux, reposait sur un minimum de confiance entre les États, durement acquise. Il a souvent été mis à l’épreuve, violé, contourné. Mais jamais depuis 1945, le monde n’avait été trompé de façon aussi démonstrative, arrogante et délibérée qu’il ne l’a été par Israël, à travers son Premier ministre Netanyahu, et par les États-Unis, incarnés par leur président Donald Trump, ce 13 juin 2025. En tant que dirigeants, ils ont déclaré publiquement qu’il était nécessaire d’attaquer l’Iran de manière préventive afin de protéger Israël. L’Iran, pourtant, est un pays qui n’a attaqué aucun autre État depuis des décennies, et qui n’est nullement tourné vers une stratégie de guerre offensive.

En dehors du G7 et de ses États dépendants, les États-Unis ont perdu tout crédit politique avec cette opération, non seulement auprès de l’Iran, de la Chine et de la Russie, mais aussi du Pakistan et d’une grande partie du continent africain. Il est aujourd’hui impossible de prévoir l’ampleur des bouleversements politiques mondiaux que provoquera ce dévoilement en direct des ambitions hégémoniques des États-Unis et de leurs alliés.

La guerre d’Israël contre l’Iran pourrait s’inscrire dans la durée. Elle divisera le monde d’une manière que nous ne sommes pas encore prêts à accepter.

La Maison-Blanche est politiquement nue

Depuis des années, l’opinion publique mondiale s’est habituée aux mensonges issus d’Israël, fondés sur une déformation volontaire des faits. Mais les mensonges du président américain liés à la guerre lancée par Israël contre l’Iran atteignent un niveau inédit. Son mépris affiché envers les scientifiques et responsables iraniens, délibérément assassinés, marque un tournant dans les relations internationales. Sa personnalité narcissique ne lui a tout simplement pas permis de rester à l’écart lorsque le Premier ministre israélien a annoncé sa prétendue victoire le 13 juin 2025. Il ne pouvait s’empêcher de déclarer au monde : oui, mais cela n’aurait pas été possible sans nous.

L’Occident contre l’Iran

Le masque est tombé : les États-Unis ont participé directement à la planification et à l’exécution de l’attaque israélienne contre l’Iran.

Quelques jours avant l’attaque, Washington a livré les missiles Hellfire qui ont été utilisés pour assassiner les scientifiques iraniens.

Hellfire rocket - left: Result; right: Hellfire rocket

Des renseignements ont été fournis. Les avions israéliens ont été ravitaillés en vol au-dessus de la Syrie, ce qui constitue en soi une violation grave du droit international. Il semble que l’esprit guerrier allemand se soit lui aussi réveillé : le gouvernement de Berlin envoie désormais ses propres avions.

Les États-Unis ont également joué un rôle central dans la détection des missiles et drones tirés par l’Iran en réponse à l’attaque israélienne.

La carte suivante montre les bases radar sous contrôle américain au Moyen-Orient. Sans ces systèmes, Israël serait tout simplement incapable de « voir » l’Iran.

Mais l’implication américaine ne s’arrête pas là. Des avions de chasse américains participent activement à l’interception des drones et missiles iraniens — non pas dans l’espace aérien israélien, mais dans les cieux irakiens, syriens et jordaniens. Leurs collègues de l’OTAN, britanniques et français, leur prêtent main forte autant qu’ils le peuvent.

Au large d’Israël, le destroyer américain USS Thomas Hudner, dépêché en urgence depuis la Méditerranée occidentale, est chargé de cette mission.

Le soutien occidental à la guerre israélienne contre l’Iran dépasse donc largement ce qui avait été observé dans le cadre du conflit ukrainien.

Sur le plan diplomatique aussi, la coordination est évidente : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont publié une condamnation quasi identique — non pas de l’attaque israélienne, mais de la riposte iranienne.

L’aide apportée à Israël se manifeste aussi sur d’autres plans. En prévision d’une réaction iranienne d’envergure, Israël a déplacé ses avions civils vers Chypre, et ses avions militaires sur une base britannique installée sur l’île.

Mais c’est dans les détails que l’on retrouve des éléments directement liés au conflit en Ukraine.

Le retrait des batteries de défense aérienne Patriot des États-Unis depuis l’Ukraine vers Israël, révélé ces derniers jours, montre bien que l’Ukraine n’est pour Washington qu’un instrument dans sa guerre non déclarée contre la Russie. Cela prouve aussi que Kiev ne détient aucun contrôle sur les armes qui lui sont livrées par l’Occident. Seuls ceux qui tiennent réellement les rênes peuvent décider de retirer à leur guise des systèmes d’armement stratégiques.

L’AIEA — un bureau annexe de l’OTAN, de la CIA et du MI6

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est une institution spécialisée de l’ONU. Selon ses statuts, elle s’engage à promouvoir l’usage pacifique et sécurisé de l’énergie nucléaire, et elle a contribué à établir des normes internationales en la matière. Mais, comme la plupart des institutions onusiennes, des fédérations sportives internationales comme le CIO ou la FIFA, ou encore des organisations telles que l’OSCE, elle possède aussi une face sombre. Ces structures ont été infiltrées par l’Occident et instrumentalisées au service de sa volonté de domination unipolaire.

Les activités de l’AIEA concernant l’Iran relèvent davantage de pratiques mafieuses que d’une démarche scientifique ou diplomatique crédible. Une fois de plus, l’Iran a payé cher pour avoir fait preuve d’ouverture envers l’agence et ses inspecteurs.

À la lumière des événements, la résolution adoptée par l’AIEA le 12 juin 2025 sur l’Iran ressemble à un document commandé par l’OTAN et Israël. Elle accuse l’Iran d’avoir violé sciemment ses engagements. En réalité, Téhéran n’a même pas eu le temps de répondre aux accusations dans un délai raisonnable. L’Iran misait pourtant sur une percée diplomatique dans les négociations prévues avec les États-Unis à Oman le 15 juin. Il avait annoncé publiquement être prêt à satisfaire à presque toutes les exigences posées.

Mais les États-Unis ont utilisé ces négociations comme couverture pour préparer et lancer leur agression conjointe avec Israël le 12 juin.

Un autre fait glaçant est à noter : quelques jours avant l’attaque, les services de renseignement iraniens ont révélé avoir saisi des documents explosifs sur le programme nucléaire israélien. Ces documents contenaient notamment les données personnelles des scientifiques nucléaires iraniens, assassinés le 12 juin par des missiles Hellfire, et qui devaient participer à la délégation iranienne lors des discussions d’Oman.

Ces documents indiquaient qu’Israël avait reçu ces informations directement de l’AIEA. Des données qui ont mené à l’exécution immédiate des scientifiques. 

Pourquoi Israël et les États-Unis intensifient-ils maintenant le conflit ?

Les préparatifs de l’attaque contre l’Iran ont été de longue haleine, comme l’ont admis des responsables israéliens. La date de l’assaut n’a donc rien d’un hasard.

En raison des négociations nucléaires prévues entre les États-Unis et l’Iran à Oman, les Iraniens semblaient convaincus de la bonne foi américaine. Ils s’attendaient à une éventuelle attaque israélienne, mais seulement après ces discussions. Et surtout, ils ne s’attendaient pas à être frappés de l’intérieur, à ce moment précis.

L’un des objectifs majeurs d’Israël était – et demeure – d’entraîner les États-Unis dans la guerre contre l’Iran. Car sans l’appui direct des États-Unis, Israël n’a pas les moyens militaires de vaincre l’Iran de manière conventionnelle.

Plusieurs éléments confirment que Washington a été profondément impliqué dans la planification de l’attaque. Pour "faire rendre des comptes" à l’Iran sur ses recherches nucléaires, un conflit devait éclater avant octobre 2025. Car à cette date, le traité entre l’AIEA et l’Iran expire. Une fois échue, Téhéran serait juridiquement libre de poursuivre ses activités nucléaires comme il l’entend.

Un autre facteur déterminant est que les États-Unis perdront, en vertu d’un accord avec Bagdad, le contrôle de l’espace aérien irakien dès septembre 2025. Sans ce contrôle, Israël aurait dû revoir entièrement sa stratégie.

Mais ces considérations restent d’ordre tactique. Le véritable objectif est stratégique.

L’Iran est un pilier central des BRICS. Et les BRICS représentent aujourd’hui un défi immense pour l’Occident, sur les plans économique, social et politique. Sur la quasi-totalité des indicateurs clés, ce groupe surpasse désormais les puissances occidentales. Il est de plus étroitement lié à l’OPEP, ainsi qu’à de nombreux pays d’Asie et d’Afrique.

Depuis plusieurs mois, l’Occident tente tour à tour de séduire ou de déstabiliser certains membres des BRICS. Le conflit récent entre le Pakistan et l’Inde n’est pas exempt de cette dynamique.

Israël et les États-Unis cherchent ainsi à atteindre deux objectifs en un seul coup. Un changement de régime en Iran rétablirait l’ordre occidental au Moyen-Orient et rouvrirait l’accès aux vastes ressources naturelles du pays. Par la même occasion, cela porterait un coup sévère à la cohésion des BRICS.

Pour une analyse plus complète des données sur les BRICS, voir notre article "BRICS – facts and figures".

Une leçon pour la Russie

La Russie a très certainement observé avec la plus grande attention la manière dont les États-Unis ont trahi l’Iran. Même les derniers sceptiques au sein de l’appareil politique russe ont dû ouvrir les yeux sur la véritable nature de Donald Trump et sur le fond réel des offres de dialogue venues de Washington.

Si l’Iran devait être contraint de se retirer des BRICS, cela poserait de sérieux problèmes à Moscou. Le projet de corridor de transport Nord-Sud, reliant le nord de la Russie à l’Inde via l’Azerbaïdjan et l’Iran, deviendrait alors irréalisable.

Sans l’Iran, la Chine perdrait également l’un de ses plus grands fournisseurs de gaz naturel. Ce n’est probablement pas un hasard si Israël a récemment mis le feu au plus grand champ gazier du monde, situé en Iran.

Sans l’Iran, les BRICS perdraient une part importante de leur stabilité interne.

La véritable cible de cette attaque n’est donc pas seulement l’Iran, mais bien les BRICS. C’est ce constat qui orientera désormais les réflexions et décisions stratégiques de Moscou et Pékin.

Un affrontement de titans s’annonce : l’Occident contre les BRICS et, avec eux, le Sud global. Les indicateurs économiques sont nettement en faveur des BRICS. Ce déséquilibre pourrait pousser un Occident blessé à envisager l’ultime recours : l’arme nucléaire.

Comment l’Iran va-t-il réagir ?

Les relations entre l’Iran et l’Occident sont marquées par une histoire longue et douloureuse. Le Royaume-Uni et les États-Unis sont intervenus à plusieurs reprises dans le cours de l’histoire iranienne, en y imposant leurs intérêts. Le coup d’État orchestré en 1953 contre le gouvernement démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh continue de résonner dans la mémoire collective iranienne.

L’Iran a donc de bonnes raisons de se méfier des promesses occidentales. Car aujourd’hui, le choix qui lui est offert ressemble à une impasse : soit capituler, subir un changement de régime et ouvrir ses ressources au pillage ; soit s’incliner économiquement, ce qui revient, à terme, à un changement de régime imposé de l’extérieur.

Les événements des derniers jours pousseront peut-être l’Iran à franchir un cap historique : se doter de l’arme nucléaire. Non pas pour confirmer les soupçons occidentaux, mais parce que les faits parlent d’eux-mêmes. Israël et les États-Unis ne se seraient sans doute jamais risqués à attaquer un Iran disposant de l’arme atomique.

Le professeur Seyed Mohammad Marandi, de l’Université de Téhéran, rappelait dans une interview l’histoire de son pays. À plusieurs moments critiques, l’Iran a perdu des dirigeants politiques ou militaires sous les coups d’agressions extérieures, sans que cela n’ait modifié la trajectoire du pays. Pendant la guerre Iran-Irak, le président, puis le Premier ministre et plusieurs hauts responsables militaires ont été assassinés. Sans résultat stratégique pour les agresseurs.

Selon lui, malgré toutes les difficultés, les Iraniens sont unis derrière leur gouvernement comme jamais auparavant. Et il conclut :

« Nous devons faire en sorte que cette erreur ne se reproduise jamais. Les relations de l’Iran avec l’Occident vont changer de manière radicale. »

Perspectives

La destruction de l’ordre international et du droit qui l’accompagnait est en cours. Lorsqu’il n’y a plus de confiance, plus de traités respectés, plus de justice ni de droit, il ne reste que la loi du plus fort. Un retour à la force brute.

Lorsque l’Europe a réussi à dépasser ce principe, c’était en 1648, avec la signature des traités de Westphalie. Après trente ans de guerre, les peuples avaient fini par retrouver la raison.

L’Occident, héritier de cette Europe du traité de Westphalie, traverse aujourd’hui une phase de dégénérescence politique et culturelle. Déclin, régression, délitement. En 2025, les faits le confirment. Si la loi du plus fort redevient la règle dominante, alors nous retombons au niveau politique du bas Moyen Âge.

Et dans ce cas… à quoi faut-il s’attendre ensuite ?

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